Il était un foie…

suite...

Pour assurer la sécurité de sa cadette mais surtout pour la rassurer, Because avait dû engager des comparses, une paire de clients parmi les plus assidus, des piliers de bars indéboulonnables qu’il faisait plus ou moins passer pour des gardes du corps. Monsieur Bloche, de son prénom Jérôme, passionné de polars et sans emploi dans la vraie vie, avait pris son rôle très au sérieux. Trop peut-être… Il s’était affublé d’un couvre chef, d’une cravate ainsi que d’une barbe de trois jours pour ressembler traits pour traits à Philip Marlowe… Mais c’était plutôt Philippe que Marlow et puis, il n’avait jamais lu Chandler, alors... Monsieur Eric Hochet quant à lui, était quelqu’un de beaucoup plus réservé, humble responsable de la bibliothèque municipale à ses heures perdues et préférant largement les BD, il n’avait rien changé à ses habitudes vestimentaires, se contentant de porter comme il pouvait, c'est-à-dire maladroitement, le même pistolet factice que son comparse. Il avait coincé dans sa braguette une reproduction asiatique parfaite d’un Pistolet Beretta Parabellum 9 mm qui tirait à blanc… Comme lui, d’après son ex-femme et quelques odieux détracteurs.
 
Malgré leurs différences notoires, les comédiens d’un soir, sans doute emportés par le désir de bien faire et de ressembler à leurs idoles, consommèrent plus que de raison et se consumèrent lentement, mais sûrement dans la nuit. Laquelle continua au rythme de superbes reprises sixties qui émerveillèrent les clients venus en nombre et plus habitués à la musique celtique à vrai dire. Après une standing ovation bien méritée, le bar ferma peu après deux heures, arrêté préfectoral oblige. Les gens sortirent avec des étoiles dans les yeux et des gamma GT dans le sang. Black Mamba, qui n’avait pas vingt ans, s’écroula alors de tout son poids sur un canapé usé jusqu’à la moelle au fond de la scène, épuisée, mais heureuse et plus libre qu’elle ne l’avait jamais été. Hélas, le bonheur ne se partage pas et puis, il ne dure jamais bien longtemps…  La porte d’entrée s’ouvrit brusquement.
 
Un vent aussi glacial que mauvais s’engouffra en même temps que deux types aux mines patibulaires, balafrées, tatouées et aux doigts couverts de bagues, sauf un… Celui qui tenait fermement la gâchette de leurs mitraillettes. Un silence de plomb comme les balles qui garnissaient la culasse s’installa, inquiétant, interminable et impénétrable. Pendant de longues secondes, on n’entendit pas une mouche voler, si ce n’est les grognements sporadiques et timides du chien de Because, une espèce de batard un peu cabot, mélange de Braque et de Labrador sable, très sable, presque jaune… Un bracador si l’on veut…
 
Puis vint la rencontre du troisième type… Un mexicain trapu, couvert de chaines et d’une fine moustache du plus bel effet. Le visage de Black Mamba, pourtant si souriant jusqu’alors, se décomposa. Pour tout avouer, elle blanchissait à vue d’œil, la lointaine cousine de Mickael Jackson… Ce qui ne faisait aucun doute sur l’identité du nouvel arrivant…
-            Bon zoir mes yeux dames, annonça-il dans un français aussi douteux que le personnage.
Monsieur Hochet, certainement moins bourré que Monsieur Bloche, s’empressa de masquer son jouet pour éviter un stupide malentendu et le cas échéant une balle perdue. Dans la précipitation, en voulant enfoncer trop profond son jouet, il faillit bien perdre une boule. Le sosie raté de Philip Marlow n’eut pas ce réflexe, bien au contraire. Aussi saoul qu’un cochon breton qu’on enverrait à l’abattoir, il voulut faire le malin, mais d’un baiser plus qu’affectueux, la crosse d’une sensuelle AK 47 lui fracassa la mâchoire, l’envoyant brutalement dans les bras de Morphée.
 
Bizarrement, Jo Loco semblait dans un bon jour, ce qui était assez rare pour cet enragé qui avait démarré son ascension sociale comme proxénète dès l’âge de treize ans. La drogue peut-être, ou la joie incommensurable de retrouver sa bien-aimée ? Nul ne le savait et personne ne voulait savoir. Il lorgna vers le jeu de dards qui se trouvait en face de lui et d’un coup, d’un seul, eut une brillante si ce n’est une monstrueuse idée.
-          My love, please…, lui suggérât-il, accompagnant le geste à la parole.
Monsieur Hochet ne comprit que le début que de la phase. Il parlait anglais comme une vache espagnole et puis de toute façon, Loco avait un putain d’accent, mexicain de surcroît. Malgré ce handicap notoire, le bibliothécaire put traduire lorsqu’il vit la pauvre chanteuse apeurée s’adosser docilement au mur et attendre, les larmes aux yeux, le peloton d’exécution…
 
Toute l’assemblée fut soulagée quand ils virent Loco prendre trois fléchettes et viser ostensiblement l’œil du cyclone sérigraphié sur la robe de la chanteuse, ce qui devait correspondre grosso modo au nombril pour ce qui est de son avantageuse anatomie. De rage et d’impuissance, Because serrait les poings tout en priant intérieurement qu’aucun des projectiles n’atteigne sa cible. Et le miracle eut lieu. Pendant quelques instants, Concarneau devint Lourdes… Ils se plantèrent tous à quelques millimètres du toujours magnifique et tremblant corps de Black Mamba. Soit, Loco était un véritable dieu des fléchettes, soit il était extrêmement maladroit. Son visage ahuri et penaud fit pencher les témoins de la scène vers l’hypothèse la plus probable, la seconde… Pour se donner bonne contenance sans doute, il se moqua vertement du Bracador, lui imputant sa malchance et partit furieux en direction des toilettes. 
-          Pff, Yellow dog. Bullshit !
Chose étrange, le chien aux poils d’or le suivit, docilement mais sûrement, dans le long couloir menant au petit coin qui sentait l’urine macérée. C’était un peu comme s’il avait compris ce que le dealer lui avait aboyé. Pourtant, personne n’y prêta la moindre attention.
 
 
On entendit des cris, ceux de Loco… Ses sbires se regardèrent interloqués, ne sachant que faire… Ils ressemblaient à des joueurs de tennis se renvoyant la balle inlassablement sans vouloir faire le point devant des spectateurs médusés. Au final, ils ne bougèrent pas d’un cil… Comme on dit parfois, l’urgent, c’est d’attendre… Un manque de motivation ou peut-être avaient-ils peur, tout bonnement ? Personne ne le savait et personne n’osa leur demander. Peu à peu, les cris s’étouffèrent, puis plus rien si ce n’est des bruits de pattes un peu pataudes qui s’approchaient. Le chien pointa le bout de son museau et poussa doucement la porte du couloir avec un magnifique os ensanglanté entre les dents…
 
Quelques semaines plus tard, une paire de gangsters au teint halé et bronzé, grâce ou à cause du perfide soleil Finistérien, attendait patiemment l’avion pour Chicago. Dans leurs valises, ils avaient emmené des galettes, du cidre évidemment, mais aussi quelques boites de filets de maquereaux sauce rouille… Détail important, ces dernières provenaient d’une conserverie Concarnoise existante depuis plus d’un siècle dont le propriétaire était ami avec Because depuis plus de dix ans. Dedans, rien de comestible, quoique…  des souvenirs périssables de leur chef qu’ils gardaient précieusement comme des reliques sacrées. Ils avaient hâte de prendre la place de Jo Loco et d’expliquer à leurs anciens collègues et nouveaux hommes à tout faire, ce que voulait dire  « Maquereaux » in french on the can…
 
Au Chien jaune, la vie avait repris son cours. Ce qu’on croyait être des reproductions de mitraillettes AK 47 s’affichaient désormais fièrement au dessus du zinc. Le chien du propriétaire était plus jaune que jamais, à croire qu’il avait « rajauni ». Et quand on demandait à Because, la raison de cette singularité, il expliquait que, comme les alcooliques, son meilleur ami, à force de boire ou de bouffer n’importe quoi, avait détraqué son foie et attrapé cette espèce de cirrhose incurable. 

Plus...

Google Analytics

Google Analytics est un service utilisé sur notre site Web qui permet de suivre, de signaler le trafic et de mesurer la manière dont les utilisateurs interagissent avec le contenu de notre site Web afin de l’améliorer et de fournir de meilleurs services.

Facebook

Notre site Web vous permet d’aimer ou de partager son contenu sur le réseau social Facebook. En l'utilisant, vous acceptez les règles de confidentialité de Facebook: https://www.facebook.com/policy/cookies/

Twitter

Les tweets intégrés et les services de partage de Twitter sont utilisés sur notre site Web. En activant et utilisant ceux-ci, vous acceptez la politique de confidentialité de Twitter: https://help.twitter.com/fr/rules-and-policies/twitter-cookies